vendredi 3 juillet 2009

Le petit Prince et le Renard

C'est alors qu'apparut le renard :

Bonjour dit le renard.
Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
Je suis là, dit la voix, sous le pommier...
Qui es-tu? dit le petit prince. Tu es bien poli...
Je suis un renard, dit le renard.
Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...
Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
Ah! pardon, fit le petit prince.

Mais, après réflexion, il ajouta :

Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu?
Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
Les hommes, dit le renard, ils sont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant !
Il élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules?
Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie créer des liens..."
Créer des liens?
Bien sûr, dit le renard. Tu n'es pas encore pour moi qu'un petit garçon tout
semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi.
Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable
à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre.
Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
Je commence à comprendre, dit le petit prince.
Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
C'est possible, dit le renard. On voit sur terre toutes sortes de choses...
Oh! Ce n'est pas sur terre, dit le petit prince

Le renard parut très intrigué :

Sur une autre planète?
Oui.
Il y a des chasseurs, sur cette planète-là?
Non.
Ça, c'est intéressant! Et des poules?
Non.
Rien n'est parfait, soupira le renard.

Mais le renard revint à son idée :

Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent.
Toutes se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent.
Je m'ennuie donc un peu.
Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée.
Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres.
Les autres pas me font rentrer sur terre.
Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique.
Et puis regarde! Tu vois là-bas, les champs de blé?
Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile.
Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste!
Mais tu as des cheveux couleur d'or.
Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé!
Le blé qui est doré, me fera souvenir de toi.
Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...

Le renard se tut et regard longtemps le petit prince :

S'il te plaît... apprivoise-moi, dit-il.
Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps.
J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaitre.
On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard.
Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître.
Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands.
Mais comme il n'existe point de marchands d'amis,
les hommes n'ont plus d'amis.
Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
Que faut-il faire? Dit le petit prince.
Il faut être très patient, répondit le renard.
Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe.
Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien.
Le langage est source de malentendus.
Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...

Le lendemain revint le petit prince.

Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard.
Si tu viens, pas exemple, à quatre heures de l'après-midi, dés trois heures je
commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux.
A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai; je découvrirai le prix du bonheur!
Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le coeur...
Il faut des rites.
Qu'est-ce qu'un rite? Dit le petit prince.
C'est quelque chose de trop oublié, dit le renard.
C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures.
Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village.
Alors le jeudi est jour merveilleux! Je vais me promener jusqu'à la vigne.
Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous,
et je n'aurais point de vacances.

Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure de départ fut proche :

Ah! Dit le renard... Je pleurerai.
C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise...
Bien sûr, dit le renard.
Mais tu vas pleurer! Dit le petit prince.
Bien sûr, dit le renard.
J'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta :
Va revoir les roses. Tu comprendras. Tu comprendras que la tienne est unique au monde.
Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret.

Le petit prince s'en fut revoir les roses :

Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leur dit-il.
Personne ne vous a apprivoisées et vous n'avez apprivoisé personne.
Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres.
Mais, j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient bien gênées.
Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous.
Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble.
Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes,
puisque c'est elle que j'ai arrosée.
Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe.
Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent.
Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles
(sauf les deux ou trois pour les papillons).
Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter,
ou même quelquefois se taire.
Puisque c'est ma rose.

Et il revient vers le renard :

Adieu, dit-il...
Adieu, dit le renard.
Voici mon secret. Il est très simple:
on ne voit bien qu'avec le cœur.
L'essentiel est invisible pour les yeux.
L'essentiel est invisible pour les yeux,
répéta le petit prince, afin de se souvenir.
C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose...
fit le petit prince, afin de se souvenir.
Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard.
Mais tu ne dois pas l'oublier.
Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.
Tu es responsable de ta rose...
Je suis responsable de ma rose...
répéta le petit prince, afin de se souvenir.

(De "Le petit prince" par Antoine de Saint-Exupéry)
Parole du jour
(Vendredi 03 juillet)
(Jn 20, 24-29)

L'un des Douze, Thomas
(dont le nom signifie: Jumeau),
n'était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient :
« Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara :
« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté,
non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard,
les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux. Jésus vient,
alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d'eux.
Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas :
« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d'être incrédule, sois croyant. »
Thomas lui dit alors :
« Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit :
« Parce que tu m'as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

Jésus n'est pas un "passe-muraille". Avant même de se manifester visiblement aux yeux de chair des disciples, il était déjà là, mais ils ne le voyaient pas. Pour nous, aujourd'hui, il est là mais ne se manifeste pas à nos yeux de chair car il n'a pas de raison de le faire. Pour les apôtres, ils avaient mission de témoigner de sa résurrection et d'être les yeux de l'Église naissante. C'est à travers leurs regards que nous le reconnaissons et dans notre vie concrète, il nous faut apprendre à le voir avec le cœur : "On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible aux yeux (de chair) ." dit le renard au petit prince.
D'ailleurs, Ce n'est pas parce qu'ils l'ont contemplé avec leur yeux de chair que les apôtres l'ont mieux compris. Le jour de l'ascension, ils attendent encore de lui qu'il prenne le pouvoir : "Est-ce maintenant que tu vas restaurer la Royauté en Israël ?" Le voyant à l'extérieur d'eux-mêmes, ils le regardent de l'extérieur. Il va falloir que leur regard s'intériorise. Un chemin qui se prépare entre l'Ascension et la Pentecôte, lorsqu'avec Marie, la Mère de Jésus, ils sont réunis dans la prière, attendant la "Force" qui vient d'en haut, une Force d'Amour. A la Pentecôte, cette intériorisation s'accomplira pour eux dans le don de l'Esprit-Saint qui imprimera en leur cœur sa Présence. Alors il le verront de l'intérieur et leur vie sera transformée ... et il le verront aussi présent dans les autres : "Dieu a fait de l'être humain une image de ce qu'il est en lui-même". (Sg 2, 23) Là aussi, il faut apprendre à regarder la sœur, le frère en humanité, non selon les apparences, mais de l'intérieur. "Heureux ceux qui croient sans avoir vu !"
( "L'incrédulité de St Thomas" par Le Caravage)